Depuis l'année dernière, la loi énergie climat oblige chaque assureur à détailler sa démarche d'investissement responsable dans ses rapports.  Environ 20 ont été examinés par Addactis.
Conclusions : Les niveaux de maturité varient considérablement.
 C'est une chose de dire que vous investissez durablement, c'en est une autre de le prouver. Depuis l'année dernière, les établissements financiers français doivent publier un rapport sur la manière dont ils gèrent leurs actifs en fonction des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), avec un focus particulier sur leur contribution à la transition énergétique et écologique.

 Une cinquantaine d'assureurs et mutuelles se sont conformés l'an dernier, une campagne mise en place par le législateur français dans le cadre de l'article 29 de la loi énergie climat 2019.  "Ces rapports --très denses car ils font en moyenne 62 pages--donnent accès à de nombreuses informations", souligne Thibaut Gilliard, directeur de la modélisation et de la finance d'Addactis, qui a passé en revue les documents de 22 participants, majoritairement de grands groupes, avec près d'euros. 2,4 milliards d'encours.

 Dans ces rapports, les assureurs articulent précisément les stratégies qu'ils mettent en œuvre pour mieux intégrer les enjeux extra-financiers dans leurs politiques d'investissement. Selon Addactis, 86% des articles de recherche mentionnaient par exemple l'exclusion du charbon, contre 41% mentionnant les énergies fossiles non conventionnelles et 36% mentionnant les violations des droits de l'homme, suggérant un niveau de maturité très différent sur un sujet donné par rapport à un autre.
 La gouvernance autour des pratiques ESG figure également en bonne place dans le rapport. Ainsi, 55 % des assureurs de l'étude disposent d'un département dédié à la responsabilité sociale, tandis que 82 % conditionnent la rémunération variable des managers à l'atteinte d'objectifs extra-financiers. Il détaille également les mesures prises pour ajuster l'offre. En assurance-vie, par exemple, 44% des participants proposent une gamme d'unités de compte, avec plus de 60% de ces produits classés en "Section 8" ou "Section 9" au sens de la réglementation SFDR, c'est-à-dire intégrant en quelque sorte des critères ESG .

Biodiversité : une thématique à éclaircir

 Mais le véritable apport de ces publications réside dans l'effort de quantification du risque non financier. Les assureurs ne sont pas étrangers à cela : depuis 2017, ils sont tenus de publier ces informations en vertu de l'article 173 de la loi sur la transition énergétique. Mais l'article 29 de la loi énergie climat va plus loin en introduisant notamment la prise en compte des risques liés à l'érosion de la biodiversité.  « Nous ne partons pas de zéro avec ce rapport sur l'investissement responsable, mais sa mise en œuvre reste un défi car les exigences du législateur vont plus loin que les outils et même la recherche scientifique n'a pas encore abouti », a déclaré Élisabeth Michaux, CNP Assurances Entreprises Spécialiste Climat et Biodiversité en le secteur de la responsabilité sociale.

 Alors que la mesure de l'impact des investissements sur la biodiversité ne sera obligatoire qu'à partir de cette année, 59 % des assureurs ont commencé à le faire l'an dernier.  "L'approche retenue est plus ou moins dépendante des acteurs, que ce soit par leur périmètre (biodiversité terrestre, aquatique ou marine) ou leur horizon (horizon statique ou dynamique)." Elie Meryglod note qu'à ce stade on n'a pas vu de convergence vers une métrique unique.

Quelle est la « température » du portefeuille ?

 Même sur les questions climatiques, mieux appréhendées, la diversité des approches pose problème.  "86% des participants au panel ont publié la 'température' de leurs portefeuilles pour mesurer l'alignement de leurs investissements avec une trajectoire carbone cohérente avec l'Accord de Paris", souligne Thibaut Gilliard. C'est un indicateur qui a l'avantage d'être facilement appréhendé par le public et référencé dans un cadre exogène. Mais son mode de calcul est très hétérogène, rendant difficile la comparaison des résultats d'un acteur à l'autre, voire d'une année à l'autre, car les méthodes évoluent en permanence.  

 Ainsi, la "température" implicite du portefeuille à l'étude fluctuera entre 1,9 et 2,8°C. Le même défaut de diversité méthodologique se retrouve dans la mesure des empreintes carbone. Cela varie de un à quatre fois d'un joueur à l'autre, notamment en raison du fournisseur de données choisi. En conséquence, les assureurs se demandent quoi faire, et ces rapports "Section 29" en sont le reflet direct.  "Ils vont s'enrichir", a assuré Élisabeth Michaux. Mais pour aller plus loin dans la reddition de comptes, il faut d'abord faire des progrès sur les pratiques de gestion, et cela prendra du temps. La rédaction de ces rapports nous incite à aller plus vite.  »

Pédagogie très limitée

 Cependant, cette approche complexe risque de souligner l'une des faiblesses de ces documents : la difficulté de leur exploitation par des lecteurs profanes, ni distributeurs ni encore moins clients. En conséquence, seuls 27 % des assureurs interrogés ont mentionné la mise en place de programmes de formation des consultants pour les aider à comprendre les enjeux ESG et à transmettre cette compréhension aux assurés. Cet effort limité de vulgarisation se retrouve donc directement dans ces rapports arides.  "Nous essayons d'introduire plus de pages pédagogiques sur des sujets d'accessibilité, mais nous ne pouvons pas perdre de vue qu'il s'agit d'une activité très technique, conforme à la réglementation et destinée à un public expert", Elizabeth Michaud de Nuance ( Elisabeth Michaux) a dit.

 Ainsi, le reporting "Section 29" des assureurs est une réelle avancée en termes de transparence, mais pas une solution pour convaincre les épargnants de la pertinence des démarches d'investissement responsable. La formule correcte n'a pas encore été inventée.